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Le beau marin à la boucle d’oreille, héros des bandes dessinées d’Hugo Pratt, incarne la
quête de l’aventure. Ecumant les sept Océans, globetrotter infatigable, il est le représentant d’un monde, d’une époque, aujourd’hui révolus. Ce sont les flibustiers du Pacifique, les magiciennes de Bahia, les
gangaceiros du Sertão... C’est l’époque où la marine à voile et des pirates étaient encore une réalité, où le mot « aventure » avait encore un
sens. Il ne s’agit pas tant d’aventure héroïque, mais plutôt d’un romantisme naïf. En ce début de vingtième siècle qui connaîtra plus de bouleversements que tous les autres réunis, Corto Maltese navigue dans un monde en
passe de disparaître, alors que la première guerre mondiale tue les hommes et marque ainsi dans l’horreur, le passage à la Modernité. Corto Maltese ignore cette guerre.Comme Hugo Pratt, Corto Maltese est un
anarchiste. Il n’est pas un révolutionnaire car trop sceptique pour croire aux grandes phrases qui n’apportent que d’amères désillusions. Corto ne cherche pas à changer le monde, il se contente de ne pas l’accepter, de
rejetter les règles du jeu admises. Mais ne croyant à rien, il devient très réceptif aux croyances des autres. Corto Maltese est avant tout un romantique. Il est un homme seul – pas un héros – face aux dislocations d’un
monde ; seul, mais capable d’apporter une réponse personnelle aux événements. Pratt disait souvent que Corto « disparaîtrait » avec la guerre d’Espagne : après, ce serait l’avènement de l’ére
technologique et technocratique dans laquelle Corto Maltese ne saurait vivre car elle ne permettrait plus aucune attitude « romantique ». Comment Corto est-il « disparu » pendant la guerre
d’Espagne ? Est-il mort de la dernière balle de cette guerre, ou bien mourut-il plus tard, comme un chat, seul, sans emmerder le monde ? Les aventuriers d’aujourd’hui, les Jean Le Guen et autres
Philippe Monnet
qui parcourent les mers, dernier espace de liberté, sont-ils, avec leur beaux bateaux sponçorisés par des marques de beurre allégé, les survivants de cette époque ? Ou est-ce que les rêveurs comme moi sont de pauvres chats mélancoliques d’un temps qui ne reviendra plus ?
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